Le , par Élie Sloïm - Accessibilité
Avertissement : cet article a été publié en 2007. Son contenu n'est peut-être plus d'actualité.
Mettons-nous quelques minutes à la place d’un administrateur de site public. Pour simplifier, disons qu’il exerce son métier dans un pays européen. Il a peut-être entendu parler de l’accessibilité des sites aux personnes handidapées. Il sait peut-être que c’est important. Il n’est pas forcément formé. Il est seul ou presque, ses moyens sont limités. Les responsables politiques et élus locaux ne sont pas forcément sensibilisés. Les crédits sont évidemment limités. Le système de gestion de contenu qu’il utilise depuis trois ans sera changé d’ici l’année prochaine. Pire, il a peut-être été changé il y a six mois. Les prestataires locaux ne sont pas encore très compétents sur le sujet. Il sait éventuellement qu’une loi nationale va lui imposer un niveau minimum d’accessibilité pour son site.
Ce niveau minimum d’accessibilité comporte des éléments très faciles à mettre en place et d’autres qui sont extrêmement lourds(de la présence de la langue du document au sous-titrage synchronisé pour les vidéos). Certaines exigences lui coûteront quelques heures de travail, d’autres lui coûteraient plusieurs dizaines de jours de déploiement, sans même parler de formation, d’audit ou de suivi.
L’administrateur de site public dont je vous parle est en face de l’accessibilité comme face à une montagne. On lui demande de la gravir, mais il n’a pas d’équipement, et les niveaux d’accessibilité (A, AA, AAA et bronze, Argent, Or pour la France) ne lui donnent que le choix d’être en haut ou en bas de cette montagne.
Autrement dit, il n’y pas pas de bivouac, pas de camp de base, pas de refuge. En se contentant de lui dire “Ton site doit respecter le niveau AA des standards internationaux”, on lui dit en fait : “Regarde le sommet de cette montagne, c’est là que tu dois aller, il n’y a pas de camp de base, et le fait que tu sois équipé comme un un montagnard aguerri ou comme un touriste en short n’a aucune importance”.
Mais l’administrateur de site public européen n’est pas stupide, et il a bien d’autres contraintes que l’accessibilité. Lorsque on lui tient ce discours, il fait un choix :
- Se lancer quand même et partir à l’assaut du sommet (viser, atteindre et maintenir le niveau double AA)
- Regarder la montagne (attendre en attendant des sanctions, des nouvelles règles plus réalistes dans son contexte)
- Pratiquer un autre sport que l’alpinisme (s’occuper de l’ergonomie, du référencement, de changer de système de gestion de contenus, de refaire le design)
Certes, certains se sont lancés. Ils ont du mérite. Ils ont pris des risques. Mais malgré l’injonction législative déclinée partout en Europe de gravir ce sommet, cet HimalayAA *, la plupart ont choisi d’attendre ou de faire autre chose.
La structure du Référentiel Général d’Accessibilité pour les Administrations a pour objectif de fournir à ceux qui le souhaitent la possibilité de se lancer sur le chemin de l’accessibilité et d’atteindre des camps de base, des objectifs modérés et progressifs, des pauses qui permettent de respirer entre deux ascensions. Tout le monde ne doit pas adopter une démarche progressive, mais il est essentiel que ceux qui le souhaitent puissent le faire.
Certains s’arréteront peut-être au premier camp de base, d’autres au deuxième. Certains iront aussi loin qu’ils le peuvent, avec leurs moyens. Et dans trois à quatre ans, nous verrons si l’installation de ces camps de base aura eu plus de succès que les ascensions “marche ou crève” mis en place dans la plupart des pays européens. Pour ceci, il suffira de compter le nombre de personnes au sommet, dans et entre les camps de base. Douze ans après la mise en place des premières lois contraignantes en matière d’accessibilité et leur échec total en Europe, c’est un pari qui ne me semble pas si risqué que ça, finalement.
Note : désolé pour le jeu de mots, je n’ai pas pu résister.