Le , par Julien Wilhelm - Écoconception
Temps de lecture estimé : 10 minutes.
En septembre 2022, j’ai publié l’article « Intégration vidéo : pourquoi réfléchir avant d’utiliser un player YouTube sur son site web » sur notre blog Temesis. J’y expliquais en quoi choisir YouTube pour intégrer de vidéos sur un site web n’était pas la meilleure des idées. Deux ans plus tard, je me réjouis de constater que l’analyse que j’ai menée est encore pertinente, et appréciée (page la plus vue de notre blog en 2024). Soit ! Aborder la conformité de YouTube vis-à-vis du RGESN publié par l’ARCEP en mai 2024 est-il susceptible d’intéresser autant de monde ?
Au sommaire de cet article :
- Pourquoi je m’acharne sur YouTube ?
- Abus de langage et référencement
- La conformité RGESN des intégrations YouTube, critère par critère
- Les intégrations YouTube sont-elles une plaie pour votre conformité RGESN ?
Pourquoi je m’acharne sur YouTube ?
Je reprécise que je ne prends pas un malin plaisir à m’acharner sur YouTube. Simplement, YouTube est utilisé dans presque tous les services numériques que j’ai à observer en audit RGESN et en analyse PWE. Les informations que je livre aujourd’hui reposent d’ailleurs sur ce que j’ai relevé en missions.
Abus de langage et référencement
Dernière information pour la route : le titre de cet article est volontairement maladroit. L’article porte bien sur la conformité RGESN des intégrations YouTube, pas de « youtube.com ». Pour atterrir ici, beaucoup prendront ce même raccourci — du moins, je le pense. Bref : question de référencement.
La conformité RGESN des intégrations YouTube, critère par critère
4.1 : Le service numérique comporte-t-il uniquement des animations, vidéos et sons dont la lecture automatique est désactivée ?
Conforme… Par défaut !
Le code classique d’une intégration YouTube ne force pas la lecture automatique. Mais c’est a priori possible !
Je ne vous indique évidemment pas comment, car ce serait préjuger des attentes des utilisateurs, alors que la démarche d’écoconception encourage au contraire à imposer le strict minimum.
À noter que le diable se cache dans les détails avec ce critère 4.1. En dépit d’un libellé explicite, il reste possible d’activer la lecture automatique sous certaines conditions (mais c’est mal).
4.4 : Le service numérique permet-il à l’utilisateur de décider de l’activation d’un service tiers ?
Non conforme… Par défaut !
À moins de faire le nécessaire pour recueillir le consentement de l’utilisateur au préalable (un impératif RGPD, pour rappel), YouTube va déposer des cookies tiers sur le terminal de ce dernier.
Vous envisagez sinon d’utiliser le domaine youtube-nocookie.com qui, comme son nom l’indique, ne dépose pas de cookies tiers sur le terminal de l’utilisateur ? Prudence ! Ce domaine, aussi géré par YouTube, exploite l’API LocalStorage des navigateurs web pour parvenir à des fins similaires.
À vos risques et périls, donc !
5.3 : Le service numérique utilise-t-il, pour chaque vidéo, une définition adaptée au contenu et au contexte de visualisation ?
Conforme… Sous réserve que !
Le RGESN attend beaucoup si vous choisissez une solution « en mesure de proposer de multiples définitions vidéo pour un même contenu ». Bingo : avec YouTube, c’est le cas.
1. Définitions et modes
YouTube doit ici proposer plusieurs définitions pour différents modes de lecture :
- Sobriété énergétique
- Qualité standard
- Haute qualité
Selon la source vidéo d’origine, les intégrations YouTube offrent des résolutions telles que 144p, 240p, 360p, 480p, 720p (HD) ou encore 1080p (Full HD), ce qui répond en partie à la question. Malheureusement, cela ne va pas assez loin, faute de correspondances manifestes entre définitions et usages.
Par exemple :
- À quelle définition correspond le mode « qualité standard » ?
- Le mode « haute qualité » correspond-il à du 720p ou du 1080p ?
- Quand utiliser du 144p, et pourquoi ?
Pour combler ce vide, sans surcharger l’interface utilisateur, j’accepte pour ma part d’être renvoyé vers la déclaration d’écoconception où l’on aura pris soin d’indiquer quand et pourquoi choisir une définition plutôt qu’une autre.
2. Mémorisation de la préférence utilisateur
YouTube doit mémoriser la préférence de l’utilisateur quant à la définition sélectionnée pour les vidéos d’un même service numérique. S’il choisit arbitrairement de regarder une première vidéo en 144p, les suivantes doivent alors adopter cette même définition par défaut — du moment que ses préférences n’ont pas évolué entretemps, bien sûr.
Dans les derniers audits RGESN que j’ai eu à réaliser, YouTube gérait cela plutôt bien. Je me dois cependant de mentionner que durant le montage de la formation Auditer la conformité RGESN d’un service numérique, j’avais relevé un contre-exemple (qui n’en est plus un désormais). Le moment est tout trouvé pour rappeler que les changements opérés par YouTube, qu’ils soient positifs ou négatifs, se font dans tous les cas sans vous demander votre avis.
5.4 Le service numérique propose-t-il des vidéos dont le mode de compression est efficace et adapté au contenu et au contexte de visualisation ?
Conforme… Ou pas !
Le RGESN demande que les codecs AV1, VP9 ou HEVC soient utilisés par défaut. Voici ce que j’ai relevé dernièrement :
av01.0.01M.08 (396) / opus (251)
= AV1 = conforme ;vp09.00.51.08.01.01.01.01.00 (248) / opus (251)
= VP9 = conforme ;avc1.640028 (137) / opus (251)
= H264 = non conforme.
Bien sûr, je vous le donne en mille : vous ne pouvez pas décider du codec qui sera utilisé. La conformité de cet aspect du critère repose a priori sur une politique de paramétrage obscure.
Sur la partie technique, il faut aussi vérifier que les vidéos sont encodées avec un débit variable et que le ou les codecs utilisés sont accélérés matériellement par la majorité du parc des terminaux.
Est-ce le cas d’AV1 et VP9 ? Pour tenter d’y répondre, je me réfère aux tableaux Codecs Vidéo publiés par Vivien Guéant, de l’ARCEP (PDF, 2,4 Mo). Et j’y trouve un léger problème. Autant l’accélération matérielle du codec VP9 a commencé à être prise en charge en 2015, autant celle d’AV1 n’a démarré qu’en 2020. Peut-on de fait estimer à date (ou pire, lors de la publication du référentiel, en mai 2024) que plus de 50 % du parc informatique est capable de supporter cette accélération ? Puisqu’il faut promouvoir l’allongement de la durée de vie de nos équipements, n’est-ce pas contre-productif de pousser à l’exploitation d’un codec requérant des machines plus récentes ?
Je vous donne les éléments.
À vous de trancher désormais.
5.5 : Le service numérique propose-t-il un mode « écoute seule » pour ses vidéos ?
Non conforme !
Pour valider ce critère :
- Un mode « écoute seule » est disponible en alternative à chaque vidéo (intégrations natives ET tierces) ;
- Ce mode s’enclenche automatiquement si la vidéo est considérée hors champ (onglet inactif).
Or aucune de ces conditions n’est remplie pour les intégrations vidéo YouTube.
Pour être transparent, ils ne sont pas nombreux les prestataires capables de cocher les 2 cases (je n’en connais qu’un qui valide le second point, et je ne peux le citer pour ne pas être taxé de lui faire de la pub).
Ce qui est agaçant, c’est que le géant a les reins pour le faire ! N’existe-t-il pas un abonnement premium permettant d’écouter des vidéos sans les télécharger ?
Je cite :
YouTube Music Premium
Vos avantages vous donnent également accès à YouTube Music Premium. Grâce à cette formule d’abonnement, vous pouvez :
- profiter de millions de titres et de vidéos dans YouTube Music sans publicité ;
- télécharger des titres et des vidéos sur votre appareil mobile pour les écouter hors connexion ;
- écouter votre musique tout en utilisant d’autres applications grâce à la lecture en arrière-plan ;
- activer le mode audio uniquement pour écouter de la musique sans avoir à charger la vidéo correspondante.
6.5 : Le service numérique évite-t-il de déclencher le chargement de ressources et de contenus inutilisés pour chaque fonctionnalité ?
Non conforme… Par défaut !
Autant YouTube ne va pas précharger le contenu des vidéos, autant les intégrations le seront (je vous renvoie une fois de plus à l’article Intégration vidéo : pourquoi réfléchir avant d’utiliser un player YouTube sur son site web). Heureusement, ce comportement est loin d’être imparable. Il suffit de mettre en place des façades pour permettre l’activation des intégrations au cas par cas, à la demande de l’utilisateur.
Si vous est impossible d’implémenter des façades, pensez à ajouter un attribut loading
avec la valeur lazy
à vos éléments iframe
pour différer le chargement des intégrations au moment où elles seront visibles par l’utilisateur. Cela ne vous permettra pas de valider cet aspect du critère à mes yeux, mais c’est toujours mieux que rien !
Les intégrations YouTube sont-elles une plaie pour votre conformité RGESN ?
Pour conclure, autant m’appuyer sur le critère 2.10 du RGESN qui s’y prête bien.
2.10 : Le service numérique a-t-il pris en compte les impacts environnementaux des services tiers utilisés lors de leur sélection ?
Le RGESN précise à ce sujet :
Plus spécifiquement, il pourra être vérifié si les services tiers sur lesquels le service numérique repose valident les critères suivants :
- Pour tous les services tiers fournis, validation des critères 1.4 et 1.5 ;
- De façon complémentaire :
- Si le service tiers analysé est une vidéo, validation des critères 4.4, 4.11, 4.12, 4.15, 5.3, 5.4 et 5.5
- Si le service tiers analysé est un réseau social, validation des critères 4.1, 4.6, 4.9, 4.12, 4.13 et 4.15
- Si le service tiers analysé est un générateur d’image, validation des critères 4.6, 4.11, 4.12, 4.13 et 4.15.
Rien d’obligatoire donc (il pourra…).
Mais l’exercice est instructif :
- Critère 1.4 : Le service numérique réalise-t-il régulièrement des revues pour s’assurer du respect de sa démarche d’écoconception ? Non conforme, car il n’y a aucune communication de YouTube en ce sens.
- Critère 1.5 : Le service numérique s’est-il fixé des objectifs en matière de réduction ou de limitation de ses propres impacts environnementaux ? Non conforme, car il n’y a aucune communication de YouTube en ce sens.
- Critère 4.4 : Le service numérique permet-il à l’utilisateur de décider de l’activation d’un service tiers ? (dépôt de cookies tiers) Non conforme par défaut, mais un travail de mise en conformité est possible.
- Critère 4.12 : Le service numérique indique-t-il à l’utilisateur que l’utilisation d’une fonctionnalité a des impacts environnementaux importants ? Ici, cela relève moins de YouTube (qui ne fait aucun effort en ce sens) que du service numérique. S’il fallait compter sur le premier, c’est à nouveau non conforme.
- Critère 4.15 : Le service numérique fournit-il à l’utilisateur un moyen de contrôle sur ses usages afin de suivre et de réduire les impacts environnementaux associés ? Conforme ou pas, selon que l’on considère ou non comme étant suffisant le fait de pouvoir changer de définition vidéo en cours de lecture.
- Critère 5.3 : Le service numérique utilise-t-il, pour chaque vidéo, une définition adaptée au contenu et au contexte de visualisation ? Plutôt conforme, à condition de faire un pont avec la déclaration d’écoconception.
- Critère 5.4 : Le service numérique propose-t-il des vidéos dont le mode de compression est efficace et adapté au contenu et au contexte de visualisation ? Conformité au petit bonheur la chance !
- Critère 5.5 : Le service numérique propose-t-il un mode « écoute seule » pour ses vidéos ? Non conforme. Meme si vous payez !
Ai-je encore besoin d’enfoncer le clou ?